La valeur verte dans l’immobilier tertiaire : contrainte réglementaire ou levier de valorisation ?
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Cet article tente de clarifier la notion de valeur verte, encore souvent mal comprise dans l’immobilier tertiaire, et d’en analyser les impacts concrets sur la valorisation, la liquidité et les stratégies patrimoniales des actifs.
1. Contexte et enjeux généraux
Les bâtiments tertiaires représentent une part majeure de la consommation énergétique et des émissions de CO₂, en France comme à l’échelle européenne. Les réglementations récentes, en particulier le décret tertiaire, imposent des objectifs ambitieux de réduction des consommations énergétiques, créant une contrainte forte pour les propriétaires et les occupants.
Toutefois, cette contrainte réglementaire révèle aussi une réalité économique : l’amélioration de la performance énergétique peut générer une valorisation accrue des actifs immobiliers. Ce phénomène est déjà largement observé dans le résidentiel, où les écarts de prix entre logements performants et passoires thermiques sont devenus très significatifs. La question centrale est donc de savoir si, et comment, cette logique s’applique au tertiaire.
2. Définition et fondements de la valeur verte
La valeur verte est définie comme la capacité d’un actif immobilier à intégrer, anticiper et maîtriser des risques environnementaux, réglementaires et d’obsolescence, générant ainsi une valeur économique durable. Elle ne se limite pas à une performance énergétique ponctuelle, mais reflète une vision globale de l’actif : résilience, adaptabilité, mutabilité et conformité future.
Cette valeur est plus visible en phase de marché favorable. En période de tension ou de crise, elle peut être masquée par une baisse généralisée des prix. À l’inverse, émergent alors les notions de décote brune, correspondant à la dévalorisation d’actifs devenus obsolètes, énergivores ou non conformes aux nouvelles exigences.
La distinction entre valeur et prix est essentielle : chaque actif est singulier, non parfaitement comparable, et le prix résulte d’un arbitrage tenant compte du risque perçu. Plus les risques sont anticipés et documentés, plus l’écart entre valeur intrinsèque et prix de marché se réduit.

3. Le cadre réglementaire structurant
La réglementation française s’inscrit dans un cadre européen dominé par deux directives majeures : la directive sur la performance énergétique des bâtiments et celle sur l’efficacité énergétique. Leur traduction principale pour le tertiaire est le décret tertiaire, qui impose une obligation de résultat, et non plus seulement de moyens.
Les objectifs sont progressifs :
–40 % d’ici 2030,
–50 % d’ici 2040,
–60 % d’ici 2050,par rapport à une consommation de référence (jusqu’à 2010), avec la possibilité d’opter pour des valeurs absoluesadaptées à chaque activité tertiaire.
À ces obligations s’ajoutent d’autres dispositifs : installation de systèmes de pilotage énergétique (GTB), audits énergétiques, végétalisation ou solarisation des toitures, intégration des enjeux énergétiques dans la taxonomie européenne. Cette dernière implique directement les acteurs financiers, notamment les banques, qui doivent verdir leurs portefeuilles de financement.
4. Mesure, données et objectivation de la performance
Dans le tertiaire, la performance énergétique ne repose pas uniquement sur le DPE, mais surtout sur les déclarations OPERAT, qui permettent un suivi précis, ajusté aux usages réels et aux conditions climatiques. Ces données offrent une vision plus robuste et permettent des comparaisons sectorielles futures via des benchmarks.
Les outils de mesure incluent également les systèmes de GTB, les protocoles de mesure et vérification (comme l’IPMVP) et les démarches de type concours CUBE, démontrant qu’une optimisation des usages et de la gestion peut générer jusqu’à 10 à 15 % d’économies sans investissements lourds.
La qualité et la fiabilité des données deviennent ainsi un facteur clé de crédibilité économique, notamment lors des cessions ou refinancements.

5. Impacts concrets sur la valorisation et la liquidité
Sur le terrain, les effets de la valeur verte sont déjà perceptibles. Dans le résidentiel, les biens classés G peuvent subir des décotes de 30 à 40 %. Dans le tertiaire, les premières observations font état de décotes brunes de 5 à 10 %, en particulier pour des actifs mal suivis ou non conformes aux obligations déclaratives.
Au-delà du prix, la performance énergétique influe fortement sur la liquidité :
difficulté accrue à vendre ou louer un actif peu performant,
négociations plus longues et plus complexes,
transfert des discussions sur la répartition des travaux entre bailleur et preneur.
Les banques intègrent désormais ces critères dans leurs analyses, allant jusqu’à visiter les actifs avant de financer une acquisition, renforçant le lien entre performance énergétique, financement et valeur.
6. Asymétrie d’information et stratégie patrimoniale
Les études montrent que la qualité de la data room est déterminante. Une information complète, fiable et anticipée réduit les marges de sécurité exigées par les acquéreurs et limite la contestation du business plan. À l’inverse, un manque de données accentue l’asymétrie d’information et entraîne une dégradation de la valorisation.
La valeur verte s’exprime aussi dans la capacité à projeter les usages futurs et à anticiper les mutations possibles de l’actif. Un immeuble pensé comme évolutif, adaptable à de nouveaux usages et conforme aux réglementations à venir, attire un spectre plus large d’investisseurs.

7. Usage, attractivité et productivité
La performance énergétique est également un indicateur avancé de la qualité globale de gestion d’un immeuble. Elle influe sur le confort, la santé (qualité de l’air, CO₂), la productivité des occupants et l’attractivité pour les talents.
Dans les entreprises, les deux principaux postes de coûts sont la masse salariale et l’immobilier. Relier immobilier, énergie et productivité transforme le bâtiment en véritable outil de management, dépassant largement la seule logique réglementaire.
8. Leviers d’action et accompagnement
Les leviers pour renforcer la valeur verte reposent sur :
l’anticipation réglementaire,
la transparence et le partage des données,
la planification patrimoniale intégrant vétusté, accessibilité, sécurité et énergie,
l’optimisation des usages avant les investissements lourds.
Des dispositifs d’accompagnement existent, notamment via l’ADEME : fonds chaleur, appels à projets de décarbonation du tertiaire, diagnostics énergétiques, aides à la maîtrise d’œuvre et accompagnement des PME via des réseaux de conseillers.

Conclusion
La valeur verte n’est ni un effet de mode ni une simple contrainte réglementaire. Elle constitue un levier structurant de valorisation durable, de résilience et d’attractivité des actifs immobiliers tertiaires. À mesure que les obligations se renforcent et que les données deviennent opposables, la performance énergétique s’impose comme un critère central des décisions d’investissement, de financement et d’exploitation.
Anticiper, mesurer, documenter et intégrer l’énergie dans une vision globale de l’actif apparaît désormais comme une condition essentielle pour préserver et accroître la valeur immobilière à long terme.




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